connaissance de soi

Publié le 11 Septembre 2014

L'humilité selon Hildegarde de Bingen (image tirée du livre "Manuel de la médecine de Ste Hildegarde")

L'humilité selon Hildegarde de Bingen (image tirée du livre "Manuel de la médecine de Ste Hildegarde")

En rédigeant l'article précédent ("ce que Dieu attend de nous"), je me suis dit qu'il fallait insister sur l'humilité qui est une nécessité à adopter dans une démarche intérieure. C'est un peu pour enfoncer le clou (pour moi aussi !) que j'écris cet article. Car si l'on accepte intérieurement le fait que Dieu a bien une intention envers nous, (ce qui est effectivement  le cas !), et quand je dis "nous", je ne parle pas de nous seulement en tant que personnes mais aussi en tant qu'humanité, alors il faut pouvoir adopter l'attitude juste face à cela; sinon, cela ajoute de la difficulté au travail. Je vais évoquer tous ces éléments dans le cours de cet article.

Lorsque l'on s'engage dans une démarche intérieure et a fortiori dans un travail de transformation intégrale, on part forcément de ce que l'on est, avec notre culture, notre savoir, nos souffrances, mais aussi notre espérance, notre foi, nos croyances, nos aspirations, nos désirs... et le cumul de toutes nos expériences s'agrègent en une image de soi, en un mot, tout ce qui fait notre moi. Or, tout ce bagage constitue pour nous l'autorité, notre propre autorité. Le fonctionnement ordinaire de l'être humain est de tout ramener à cette autorité, elle constitue un filtre qui s"épaissit et se cristallise avec le temps. C'est cette autorité qui nous fait dire "je suis d'accord..." ou "je ne suis pas d'accord...", lorsqu'elle rencontre une connaissance nouvelle, en prenant la partie qui correspond à ce qui lui fait plaisir, rejetant ce qui vient la troubler, avec force énergie si elle est à ce point déstabilisée. Le moi est l'autorité, l'autorité est le moi.

Evacuons tout de suite l'autorité quand elle est extérieure. Si l'on place l'autorité à l'extérieur de soi, alors on lui porte forcément allégeance, que l'on en soit conscient ou non. Or, l'allégeance n'est pas l'humilité, elle est une forme de soumission qui rend l'individu dépendant de cette autorité. L'individu n'a donc plus de pouvoir personnel puisqu'il le délègue à un tiers extérieur. C'est en grande partie le problème du monde d'aujourd'hui. Nous plaçons l'autorité dans un gouvernement, dans la science, dans l'éducation, dans la médecine, ou dans un gourou... et nous faisons nôtre cette autorité. Plus nous cédons de pouvoir personnel à une autorité extérieure, plus nous devenons comme des morts vivants, des marionnettes ballotées aux quatre vents des décisions et desiderata que celles-ci nous imposeront, en nous illusionnant sur notre pouvoir personnel. Au bout du compte, nous devenons des soumis ou des esclaves. Je ne vais pas parler de la dévotion que certaines cultures portent à un maître extérieur, ce qu'en Inde on appelle "bhakti". Le sujet est vaste et nécessiterait des développements qui sont éloignés de notre culture occidentale. La notion de gourou a été ramenée en Occident et a donné davantage de mauvais exemples que de véritables preuves de son intérêt. Mais c'est presque un autre sujet que je n'ai pas l'intention de traiter ici et qui ne fait de toutes façons pas partie de ce qui me semble être le plus important.

Donc une démarche spirituelle véritable est un chemin pour devenir des êtres humains véritables, ce qui nécessite forcément de revenir à soi et à notre propre autorité. Il s'agit par conséquent de ramener l'autorité à l'intérieur de soi, mais surtout de la placer au bon endroit ! Car il faut trouver "le bon maître" en soi et là est tout le défi !

Le premier réflexe, et c'est d'autant plus vrai pour nous occidentaux, est de placer l'autorité dans la tête. On se retrouve donc avec un mouvement centripète qu'est l'ego, qui ramène tout à lui, et un mur ou plutôt un filtre qu'est l'autorité, qui va passer au crible les expériences que l'on va traverser ou les connaissances que l'on va acquérir, par les livres ou nos rencontres par exemple. Nous créons alors une double difficulté dans notre travail intérieur : une liée à la présence de l'ego et l'autre liée à la force de l'autorité. A cause de cela, nombre de chercheurs n'avance pas, ou alors ils s'imaginent avancer quand ils considèrent que le travail fait son petit bonhomme de chemin dans la tête...mais ce n'est souvent que vue de l'esprit et jeu de dupe.

Par exemple ce texte, vous le lisez (et peu importe sa justesse), puis vous le faites passer à travers votre savoir, vos connaissances, votre vécu, et si ce que j'écris correspond à ce que vous vivez ou pensez, vous vous dites que j'ai raison (avec le risque que vous projetiez une forme d'autorité sur ma personne) et vous le faites entrer dans votre savoir et cela devient une brique de plus dans la construction de cette autorité. Ou si après analyse vous estimez que ce n'est pas en accord avec votre vécu, vous allez sans doute le rejeter, laissant ainsi à votre autorité le premier plan et les pleins pouvoirs. Dans ce cas, ce qui fait foi est la conjonction de l'ego et de l'autorité. Eh bien cette façon d'aborder les choses est ce que l'on appelle l'orgueil.

L'orgueil est de faire de notre propre autorité intérieure, celle que l'on a placé dans la tête, le "maître" qui guide notre chemin et qui décide de tout, de qui a raison et qui a tort, de qui est celui que l'on suit ou celui que l'on rejette,... L'ego trouve par ce biais un moyen de se renforcer, même, et peut-être surtout, sur un chemin spirituel. Et cela donne tout "l'embrouillamini" que l'on connaît, tout ce brouhaha confus que l'on peut lire ou entendre de ci de là, chacun souhaitant mettre au premier plan, et surtout imposer aux autres sa propre autorité.

Le chemin de l'humilité va à l'encontre de ce processus. Mais quel est-il ? Eh bien d'abord il s'agit de reconnaître le fonctionnement que je viens de décrire. D'abord le reconnaître, et de l'observer en fonctionnement en soi, sans rien vouloir y changer. Puis ensuite il convient de ne plus juger ce que l'on reçoit, on le reçoit de façon neuve à chaque fois, même si c'est quelque chose de connu. Ainsi, on ne renforce plus le mental, ou plus précisément cette partie du mental que j'ai appelée autorité. Ce qui nous guide sur le chemin est le Coeur, qui s'exprime une fois le silence intérieur établi, et dont le siège se situe derrière le sternum.

Cela renvoie à la première béatitude du Sermon sur la Montagne que je reproduis ci-dessous.

Matthieu 5-7:29
Segond 21 (SG21)
Le sermon sur la montagne 5.1–7.29
Les béatitudes

A la vue de ces foules, Jésus monta sur la montagne. Il s'assit et ses disciples s'approchèrent de lui. Puis il prit la parole pour les enseigner; il dit:

«Heureux ceux qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle (ou heureux sont les simples en esprit), car le royaume des cieux leur appartient!
Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés!
Heureux ceux qui sont doux, car ils hériteront la terre!
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés!
Heureux ceux qui font preuve de bonté, car on aura de la bonté pour eux!
Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu!
Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu!
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des cieux leur appartient!
Heureux serez-vous lorsqu'on vous insultera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi.
Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse, parce que votre récompense sera grande au ciel. En effet, c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.
..."

Le sermon sur la montagne 5.1–7.29

"Heureux sont les simples en esprit ("qui reconnaissent leur pauvreté spirituelle" dans la traduction que j'ai trouvée) car le royaume des cieux leur appartient" signifie que la première des choses qui est demandée est bien de se considérer comme "ne sachant pas", "simple" face à cet inconnu que représente le "royaume des cieux" (qui se trouve en soi). Etre "simple en esprit" est justement faire preuve de clairvoyance et de vigilance lorsque le mental s'emballe et commence à se placer au premier plan.

Le Sermon sur la Montagne appelle donc en tout premier lieu à l'humilité. On retrouve cette nécessité dans le Coran également, par exemple dans la sourate 17 dans laquelle Dieu indique au prophète qu'Il fait descendre le Coran (Coran veut dire Rappel, rappel de la Loi qui, sous-entendue, est déjà présente en l'homme mais oubliée et avec le livre il fait également descendre la lumière, j'ai déjà un peu évoqué ce sujet dans un article précédent), et face à cela, l'homme se prosterne et cela augmente son humilité.

...

106. (Nous avons fait descendre) un Coran que Nous avons fragmenté, pour que tu le lises lentement aux gens. Et Nous l'avons fait descendre graduellement.

107. Dis : "Croyez-y ou n'y croyez pas. Ceux à qui la connaissance a été donnée avant cela, lorsqu'on le leur récite, tombent, prosternés, le menton contre la terre"

108. et disent : "Gloire à notre Seigneur! La promesse de notre Seigneur est assurément accomplie".

109. Et ils tombent sur leur menton, pleurant, et cela augmente leur humilité .

...

Coran, Sourate 17

Ces textes, comme tant d'autres, appellent à adopter une attitude d'ouverture et un état de réceptivité, et ce en restant simple et par la pratique de "ne pas savoir" (sous-entendu, avec sa tête). D'ailleurs, dans cette même sourate, la Coran indique que tous les anges se sont prosternés, sauf un, Iblis (Satan) qui lui est resté debout, c'est-à-dire, droit, rigide, le front haut pour montrer son refus. Il en est de même pour l'homme qui refuse la Parole de Dieu, ou qui avance sur le chemin en croyant tout savoir, il reste rigide, campé sur ses positions, il ne "courbe pas l'échine". Ceux-là n'avancent tout simplement pas et le chemin qu'ils parcourent n'est souvent qu'une vue de l'esprit ou semé de multiples épreuves. A méditer !

Les expériences intérieures, parfois intenses, que l'on peut vivre quand on reçoit quelque lumière ou la parole que l'on peut recevoir peuvent, elles aussi, si l'on ne fait pas preuve de vigilance, devenir des éléments d'autorité supplémentaires qui viennent s'agglutiner à celle existante et peuvent contribuer à renforcer notre ego. Et c'est bien là, à mon avis, une difficulté très subtile, voire la difficulté la plus importante sur le chemin. Car l'ego peut vite s'enflammer lorsqu'arrivent des expériences intérieures. L'autorité peut vite devenir tyrannie, pour soi-même et pour l'autre si elle se renforce au gré des expériences, même si on ne s'exprime pas forcément là-dessus. Certains silences en disent parfois plus long que de longs discours... L'orgueil le plus subtil est le plus difficile à déraciner, et c'est lui qui demande la plus grande des humilités. Et donc, plus l'on vit de choses intérieures, plus l'humilité doit s'imposer, donc plus le processus que j'ai décrit plus haut doit s'intégrer. Je vais être honnête, c'est une de mes plus grosses difficultés et souvent je me fais prendre à revenir dans la tête et à faire passer l'autorité de mes propres expériences au premier plan. Et souvent je me mets à douter d'avoir parfaitement intégré leur signification ou leur profondeur... Alors dans ces cas-là, j'en viens à reconsidérer ce que je croyais acquis, ce qui me fait parfois entrer dans une profondeur encore plus grande. "Remettre 100 fois l'ouvrage sur le métier" est une devise que j'ai fait mienne. 

Sans une humilité en permanence renouvelée, on est comme Iblis devant Dieu, ce qu'indique le Coran, debout, en confrontation et en défi. Et dans ce cas là, on part perdant, si je puis dire, car c'est une fermeture, un repli sur soi automatique, voire un recul, que Dieu ne brisera pas, ou pas directement en tous cas, tant qu'on donne les pleins pouvoirs à notre moi.

L'humilité est donc reconnaître ce fonctionnement et accepter de s'être fait prendre à ce piège, car il ne sert à rien de se battre contre cela ou de se juger. Une fois ceci réalisé, eh bien ensuite on impose le silence intérieur, par l'observation des pensées dans un premier temps, puis par un lâcher prise de ce qui se sera imposé comme autorité pour se centrer dans le coeur derrière le sternum, puis le silence s'approfondira en restant centré dans le coeur. Car faire preuve d'humilité est non seulement ne pas écouter l'autorité mentale, mais c'est aussi abandonner au coeur, à l'étincelle divine en soi, les rênes du travail intérieur.

C'est à la fois extrêmement simple et extrêmement compliqué. Simple parce que l'on pourrait se dire qu'il n'y a qu'à lâcher, mais compliqué parce que lâcher cette autorité est aussi lâcher tout le mécanisme de survie, patiemment élaboré, qui nous fait souvent fonctionner dans cette société et qui fonctionne pour ainsi dire sur son propre contrôle. L'humilité est se donner les moyens de fonctionner autrement.

Il ne peut pas y avoir acte d'humilité qui soit partiel. Celui-ci doit être total, complet et dépasser le seuil de notre travail intérieur, ce qui peut nous rendre pour ainsi dire "fragile" dans ce monde, face à la violence et l'orgueil ambiants, même sourds, de nos concitoyens. Il ne peut pas y avoir transformation intégrale avec des actes partiels. Donc lorsque l'on se discipline à une humilité dans notre démarche intérieure, celle-ci doit "transpirer" dans notre fonctionnement social. Il serait incohérent de se rendre silencieux et humble dans notre travail intérieur et de faire preuve d'orgueil dans notre vie de tous les jours. Car n'oublions jamais une chose, c'est que le Divin peut s'exprimer à travers n'importe qui, n'importe quoi et de n'importe quelle façon, et ce pour nous enseigner sur nous-même, si nous ne savons pas entendre directement la Voix qui peut nous éviter l'épreuve qui nous envoie vers une confrontation brutale.

Ici, la prosternation peut avoir un sens et souvent, quand je suis seul chez moi, il m'arrive de me prosterner, une façon d'accentuer la posture intérieure par une posture extérieure, pour unifier la corpéréité à l'êtreté; une façon de lâcher prise aussi. Mais ce qui compte le plus est bien l'attitude intérieure, puisque, ne l'oublions pas, Dieu nous aborde par l'intérieur, par le coeur.

J'attire l'attention du lecteur sur le fait que l'humilité n'est pas la contrition, cette attitude inventée par l'église catholique, qui se définit comme un acte de repentir et de remords, dans le cas où l'on aurait "offensé Dieu", et dans laquelle on peut retrouver les notions de culpabilisation, de déni voire de haine de soi. L'idée même d'offenser Dieu est un non sens, une abérration. Cela renvoie à une autorité impérieuse extérieure qui se mettrait en colère dès que l'on commet un pêché et face à laquelle il faudrait se rabaisser "plus bas que terre" pour montrer, extérieurement parlant (sic !), que l'on se repent du mal que l'on a commis. Je force le trait exprès, parce que j'ai vu plusieurs fois dans des églises des personnes très pieuses faire acte de contrition, toute tordues sur leur siège et dans une tension intérieure qui m'apparaissait à chaque fois extrêmement forte. Ceci n'est pas un acte d'intelligence, mais je pense que ceux qui ont inventé ça ne souhaitaient pas que leurs ouailles fassent preuve d'intelligence et de sens critique, c'est évident. Dieu, la Sagesse Suprême, ne nous aborde pas de cette façon.

Résumons. L'humilité n'est donc pas un acte religieux mais un acte d'intelligence intérieure, qui consiste à lâcher prise de l'autorité mentale pour se soumettre à la Voix du Coeur. C'est donc faire silence mais aussi être silence, à l'écoute, simple, léger contrairement au mental qui peut apparaître lourd de cristallisations qui s'imposent en permanence dans notre cheminement. C'est arrêter de "se prendre la tête" avec des concepts ou des idées sans pour autant nier le mental qui a son utilité par ailleurs, à condition là aussi de lui donner la juste place au bon moment. En tout état de cause, l'humilité est ne pas se laisser emporter par les mouvements du moi, mais au contraire de rester enraciné dans sa propre vérité intérieure. C'est un art subtil à cultiver, primordial, qui est est la condition sine qua non pour atteindre un jour à la dissolution de l'ego. C'est aussi la lucidité du regard sur soi allié à l'acceptation de ce que l'on est, au delà de toutes les images et les histoires que l'on peut se raconter. C'est par définition le respect de soi et par extension le respect de l'autre. Elle est donc bien la reine des vertus, comme l'écrit Hildegarde de Bingen à qui je laisse la conclusion :

"L'humilité : Moi, l'humilité, reine des vertus, je le déclare : venez à moi, ô vertus, et je vous enseignerai à chercher la drachme perdue et à couronner l'heureuse persévérance. "(Hildegarde de Bingen)

L'orgueil selon Ste Hildegarde (image tirée du livre "Manuel de la médecine de Ste Hildegarde")

L'orgueil selon Ste Hildegarde (image tirée du livre "Manuel de la médecine de Ste Hildegarde")

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