Publié le 31 Mars 2014

Une représentation de Bodhidharma

Une représentation de Bodhidharma

Sans attendre d'avoir quitté le Sahaj Marg, je décidais de découvrir l'univers et l'énergie du Zen. Je me renseignais donc pour localiser le dojo du centre de Lille et essayais de trouver un créneau compatible avec les horaires d'ouverture.

Le dojo de l'association locale est construit dans un ancien hangar situé dans un quartier des faubourgs de Lille. Ce hangar est complètement intégré dans un ensemble de bâtiments industriels planté au mileu d'un quartier d'habitations et derrière une zone commerciale. Il y a, d'un côté du bâtiment, une porte de garage qui permet de laisser facilement entrer un petit camion et de l'autre, une porte blindée en métal. Une petite pancarte placée à côté de cette porte indique l'on se trouve bien au dojo Zen. Il n'y a pas de fenêtres, seul un toit en tôles ondulées laisse passer un peu de lumière. Le dojo est tenu par des personnes qui ont un emploi dans le civil, donc pas des moines à demeure, les horaires sont adaptés, mais on a peu de latitude quant à la plage d'arrivée. Trop tôt la porte est close; trop tard, la cérémonie démarre et plus personne ne vous ouvre.

Lorsque l'on entre dans le bâtiment, il n'y a aucun doute sur le fait que celui-ci ait été un hangar et même certainement une ancienne usine. Sur la droite se trouvent les vestiaires, sur la gauche a été construit la salle qui accueuille les méditations, sous la forme d'un carré qui doit faire à peu près 15 mètres sur 15 et évidemment, dans l'esprit d'un temple Zen japonais. Dans le fond a été installée une cuisine qui permet de préparer des repas pour une grande tablée, elle-même installée dans le hall d'entrée. Une lumière tamisée filtre par les tôles du plafond et par quelques lampadaires installés ici et là. On accède à la salle de pratique en montant un large escalier en bois et sur une terrase, un grand tocsin qui émet un bruit sourd annonce le début des pratiques. Les tenues noires sont de rigueur, il est préconisé de se changer en enfilant une tenue mise à disposition dans le cas où l'on serait habillé de façon trop claire.

La première fois que j'y suis allé, j'étais en retard et après quelques instants à m'acharner sur la porte blindée, quelqu'un est venu m'ouvrir en m'invitant à repasser une autre fois. La fois d'après, j'essayais de me trouver dans le créneau d'entrée pour être accueilli et informé. On m'invita avec peu de mots à pénétrer dans le vestiaire homme pour déposer mes affaires, enfiler une tenue noire permettant de s'asseoir sans être gêné et de suivre les personnes déjà présentes qui, comme moi, souhaitaient recevoir des explications. Les conseils étaient rudimentaires, uniquement centrés sur les éléments essentiels à tenir pour une bonne posture. L'attention est attirée sur la pratique et le respect du rituel, immuable de séance en séance.

Une séance se déroule toujours de la même façon. Elle démarre lorsque l'on sonne le tocsin. On pénètre alors dans le dojo; on choisit un coussin si on n'en a pas, on salue le Bouddha dont la statue trône au milieu du carré et l'on cherche une place quelque part sur un bord du carré tapissé de tatamis, mais pas dans les coins, ceux-ci étant réservés à certains méditants pour servir de "piliers" à la séance de méditation. Le dojo est construit en hauteur, avec un espace entre le mur et les tatamis, ce qui permet aux personnes n'ayant pas la souplesse nécessaire pour tenir la posture de laisser les jambes pendre dans cet espace plutôt que d'essayer de s'asseoir en lotus et de se faire mal. Puis un des piliers annonce en japonais le début de la méditation. Au bout d'environ 30 minutes, le pilier responsable de la méditation annonce le rituel du "kyosaku", le bâton d'éveil. Cette pratique est prise en charge par un troisième pilier, qui va chercher le bâton, salue le Bouddha, et passe de méditant en méditant pour asséner un coup avec la force adaptée à un endroit précis sur chaque épaule. Le méditant annonce par un gessho (les mains jointes face à la poitrine) à son passage, son accord pour accueillir cette "stimulation" qui, si elle est mal faite ou non acceptée, peut se retrouver être un coup qui fait très mal. Une fois le tour des méditants fait, le kyosaku est remis à sa place, puis après quelques minutes, on annonce le "kin hin", la marche lente et consciente, qui est une forme de méditation en mouvement très intéressante. Celle-ci consiste à faire des demi pas cadencés par une respiration lente et profonde tout en se tenant le dos droit, la main gauche fermée dans la main droite, l'articulation du pouce droit étant légèrement enfoncée dans le plexus solaire. On pratique ainsi en file indienne sur un chemin préalablement défini et ce jusqu'à l'annonce que cette pratique est terminée. Auquel cas, on marche plus rapidement jusqu'à reprendre sa place, toujours dans un ordre quasi militaire pour reprendre une seconde séance de 45 minutes de méditation. Dans cette seconde séance, plus de kyosaku mais à la fin, les pratiquants entonnent le Sutra du Diamant, toujours en japonais. La séance se termine de cette façon.

Dès la première fois, je comprenais l'essence de la posture. L'énergie arrivait par le haut sous la forme d'un rayon rentrant par le sommet du crâne et allant alimenter un point se situant quelques centimètres en dessous du nombril, à l'intérieur du corps : le tan tien. Un défaut dans la posture et l'énergie ne passait pas ou ne descendait pas jusque là. Il fallait donc rester le plus droit possible et dans l'alignement le plus juste possible par rapport à l'énergie. Une des particularités de la méditation zen est que l'on médite les yeux mi clos, ce n'est pas aussi facile que ça en a l'air et garder l'attention sur la posture, le regard posé sur le mur face à soi mais sans le regarder vraiment et en n'oubliant pas de respirer normalement mais de garder également l'attention sur la respiration, c'est un véritable exercice d'équilibriste pas évident à réaliser, malgré l'apparente simplicité de la chose. D'autant que cet exercice génère autre chose de bien plus difficile. En effet, l'énergie effectue un nettoyage du vital et favorise l'enracinement. Le premier point fait en sorte de révéler les états de conscience intérieurs jusqu'à s'en purifier, mais la pratique demandant de revenir sans cesse sur la posture, la respiration et le détachement, et pour ma part de rester centré sur l'énergie, toute la difficulté réside dans le fait de laisser passer ces états sans s'en préoccuper. C'est vraiment tout un art difficile à maîtriser. Le second point que j'évoque ici permet d'engendrer une grande force intérieure qui vient alimenter notre centre de gravité, mais aussi le centre de nos corps subtils. J'ai remarqué que les pratiquants de longue date sont généralement très ancrés et dégagent une grande force vitale. C'est d'ailleurs certainement pourquoi la première vision qui m'est apparue est un arbre contre lequel je me sentais appuyé, lorsqu'ensuite il est passé à l'intérieur de moi. En devenant cet arbre, je comprenais à quel point l'enracinement est important. Pour pouvoir atteindre le Ciel, il faut déjà être de la Terre.

Plusieurs visions que je n'ai pas notées au fur et à mesure me permettaient de m'intégrer très vite à cette pratique, alimentant la compréhension des pratiques et de certains enseignements. Puis, un jour, lors d'une séance, je sentis plus que d'habitude l'énergie se manifester. J'essayais de remonter le flux de l'énergie par l'esprit lorsqu'une vision apparut les yeux ouverts : un moine sur une estrade en position du demi lotus, avec une seule sandale, face à une communauté de moines rangés en lignes devant lui. Je reconnus tout de suite ce personnage. De son corps tout entier émanait l'énergie que je ressentais, il s'agissait de Bodhidharma, dont le portrait traînait sur un présentoir dans l'entrée. Je venais donc d'avoir la certitude de l'anthenticité de l'énergie transmise directement des plans subtils par le fondateur du zen lui-même. De la façon dont il émet l'énergie, il semble que ce soit à partir de son corps physique, ce qui voudrait dire qu'il n'est pas mort mais qu'il ait bien été transfiguré, ce qui confirmerait le fait (ou la légende) que l'on n'ait pas retrouvé son corps après sa mort. Tous les êtres que j'ai vus qui émettaient de l'énergie de cette façon (ou d'une autre assez similaire) sont tous des êtres transfigurés, c'est la raison pour laquelle je tire cette conclusion.

J'ai eu auparavant l'occasion de connaître des enseignements et des pratiques bouddhiques mais je n'avais jamais vraiment accroché. Je me sentais par contre complètement attiré par cet enseignement-ci dont la rigueur, la discipline et le dénuement correspondaient vraiment à ma nature de l'époque. C'était sans compter sur les mauvaises énergies qui ne me laissaient pas tranquilles. En effet, attisées par le vital qui résistait au nettoyage engendré par l'énergie du zen, les énergies shivaïtes accentuaient la difficulté de concentration et créaient une agitation qui faisait de la posture un véritable supplice. J'avais vraiment l'intention de continuer malgré les résistances et les difficultés parce que je sentais que cette voie était non seulement une voie authentique d'éveil, mais également une voie de transformation intérieure intégrale, la vision de Bodhidharma transfiguré m'ayant convaincue qu'une transfiguration était possible par cette voie.

Seulement, les choses n'allaient pas se passer comme je l'espérais. Le cadre rigoureux du déroulement d'une séance allait vite devenir rigide et difficile à tenir. Il y a un dragon en moi qui refuse d'être dompté et attaché à quelque méthode que ce soit, si celle-ci ne fait pas preuve de créativité et de renouveau. Je me sens vite enfermé, presque claustrophobe et comme un lion en cage dès que ce dragon se réveille. C'est à la fois une image, une vue de l'esprit mais aussi une réalité d'arrière plan qui dépasse le petit moi auquel je suis identifié, réalité qui vient détruire l'apparente tranquilité dans laquelle je peux être parfois, et c'est d'autant plus vrai que lorsque je me convaincs que j'ai trouvé ma voie. Les murs deviennent plus ou moins vite trop étroits, trop emprisonnants, trop lisses pour que je n'aie envie de les exploser et de retrouver l'air libre et une certaine forme de liberté. Je n'ai pas encore dompté cette partie-là de ma nature. La voie du zen n'a pas échappé à ce dragon. Lorsqu'un jour, un pratiquant est venu vers moi en me disant avec un orgueil feint qu'il avait été initié au grade de Bodhisattva pour pouvoir sauver tous les êtres, je lui demandais froidement quelles étaient ses réalisations et ses pouvoirs pour ainsi s'enorgueillir d'être un être universel au service de l'humanité. Face à son silence et mis face à lui-même, il ne m'adressa plus jamais la parole. De la même façon, je participais un jour à "un mot de zen", une sorte de groupe de parole hebdomadaire où chaque pratiquant peut échanger ou poser des questions. La question du jour était "qu'est-ce que le zen ?". La réponse "attendue", pour ne pas dire "téléphonée"  donnée par la plupart des pratiquants était : "Rien !". Ce jour-là, je devais être plus énervé qu'un autre jour, j'ai alors lancé à l'un d'entre eux : "ben si ce n'est rien, pourquoi ne restes-tu pas chez toi ?". Les personnes présentes étaient entre le rire et le malaise. Je m'essayais alors à une réponse : "c'est une voie de transformation". Réflexion du public pendant quelques secondes, puis quelqu'un lance : "j'aime bien cette réponse !" histoire de rompre le silence.  Au final, c'est moi qui me suis retrouvé mal à l'aise.

Un enseignement, une philosophie, un ensemble de pratiques peuvent être une voie de liberté et de transformation intérieures, c'est toujours l'être humain qui enferme dans un système de croyances, d'habitudes et de pensées. C'est ainsi qu'une voie authentique peut devenir stérile avec le temps et finir par s'éteindre, d'où la nécessité d'être portée par des maîtres vivants incarnant cette voie et cette liberté. La spiritualité est un feu qui doit consumer les murs épais de l'obscurantisme, de l'orgeuil et de l'ignorance. L'être humain est capable d'une transcendance qui échappe complètement à son entendement, pour le moment du moins. Nous avons dégénéré; et cet état de l'humanité actuelle réveille le dragon qui est en moi qui refuse de subir ce sort.

Finalement, je n'ai pratiqué que quelques semaines, le temps de retrouver un emploi stable. Les horaires d'ouverture du dojo ne convenaient plus à mon nouvel emploi du temps et intérieurement, je sentais que je devais continuer ma route. Celle-ci ne devait pas s'arrêter au zen de Bodhidharma, même si je reste profondément en relation avec lui et que je recommande cette voie à toutes les personnes qui sont attirées par sa rigueur et son dénuement.

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