Les mécanismes de l'ego : l'image et la projection

Publié le 13 Juillet 2018

Les mécanismes de l'ego : l'image et la projection

Nous ne sommes jamais vraiment la même personne au fur et à mesure du temps qui s'écoule. Et c'est encore plus vrai lorsque l'on parcourt un chemin de transformation intérieure. Seulement, des mécanismes inconscients et automatiques nous amènent à figer, voire à cristalliser une image de soi qui va rendre très difficile cette transformation intérieure. Et ce sont aussi ces mêmes mécanismes qui, par extension, vont nous empêcher de vivre le moment présent. Parce qu'à travers cette fixation puis ces cristallisations, l'esprit va perdre en sensibilité, en souplesse, en ouverture, et en s'attachant à certains aspects de soi d'un côté, et en en rejetant d'autres d'un autre côté, il va créer une image de soi à laquelle nous allons nous identifier et de laquelle nous aurons beaucoup de mal à sortir. Ce mécanisme commence très tôt dans notre petite enfance, parce que les germes de l'ego apparaissent dès que la fusion d'avec notre mère se met en place. Et c'est bien lui qui entretient ce mécanisme. Les mécanismes de l'ego sont les mêmes chez tout le monde, bien que ce sur quoi il s'appuie pour exister soit différent chez chacun. Dans cet article, nous allons donc observer deux mécanismes corollaires : l'image et la projection.

L'image de soi, ce n'est pas trop difficile à comprendre. C'est à la fois tout ce à quoi l'on s'identifie, en même temps que tout ce que l'on rejette de soi : "Je suis comme ceci, je ne suis surtout pas comme cela, et on ne se refait pas ma bonne dame !". C'est un rapport de j'aime/je n'aime pas. Par exemple, j'aime telle qualité, mais je n'aime pas ce que je considère comme ce défaut qui ternit l'image que je me fais de moi. Je laisse le lecteur faire sa propre introspection pour "remplir les cases" :) Car ce soi-disant défaut fait aussi partie de l'image, mais d'une image inversée. Et donc il y a ce double phénomène assez fascinant : je suis identifié à une image qui peut être clairement définie, mais je crois aussi ne pas être cette image inversée ! Deux négations ensemble s'annulent !

L'inverse est vrai également, c'est-à-dire que je peux être identifié à une image négative et m'y complaire. Et auquel cas l'image inversée serait celle de quelqu'un "de bien" que je crois ne pas être. Que l'image soit positive ou négative, elle nous apporte une espèce de gratification. C'est simple à comprendre lorsque cette image est considérée comme positive, ça l'est peut-être moins dans le cas inverse. Pourquoi ? Parce que l'ego aime avoir raison ! "Vous voyez bien, tout concourt à me renvoyer à cette image de moi, donc je suis comme cela / ne suis pas comme cela" : la boucle est bouclée et l'ego est ravi, il a raison. 
C'est à partir des phénomènes liés à l'identification à l'image que ça peut être plus facile à comprendre. Et on va voir à quel point ces mécanismes peuvent être subtils.

C'est un fait, nous allons plus facilement vers les personnes qui correspondent à l'image que l'on se fait de soi. Bien sûr au début de notre vie, on ne choisit rien, du moins rien consciemment. Ce qu'il faut bien avoir intégré, c'est que l'on va consciemment rechercher des situations et des personnes qui vont correspondre à l'image que l'on se fait de soi, même si cette image n'est pas si bien définie que cela. Exemple (cet exemple est une fiction !) : je me trouve super beau physiquement (remplacer l'adjectif "beau" par ce que vous voulez) et je veux que lorsque l'on me regarde, on me renvoie à cette beauté. A lire, je reconnais que ça fait un peu ridicule, mais c'est pour l'exemple. Au passage, il est toujours nécessaire de s'avouer les choses plutôt que de jouer au chat et à la souris avec les facettes de notre personnalité. Assumer, ça libère ! Evidemment, je place cela dans un contexte de transformation intérieure, dans une révélation que l'on se fait à soi-même. Inutile d'aller le crier sur tous les toits, à moins de faire amende honorable dans un contexte approprié.

Donc on choisit les personnes qui correspondent à cette image, mais on va également fuir celles qui correspondent à l'image inversée. Ou alors si la vie nous y confronte, et elle ne va pas se gêner, ça va nous renvoyer à ces aspects que l'on ne veut surtout pas voir en soi. Et c'est là que c'est intéressant, parce que finalement, que va-t-on faire avec cela ? Souvent, on tient la personne non désirée à distance, ou alors on va être critique, ou dans le jugement, voire dans l'agressivité envers elle. Et c'est comme cela que les conflits entre humains naissent et sont nourris. Gardez à l'esprit que l'ego aime avoir raison. Chaque partie croit avoir raison, et l'ego fera toujours en sorte d'avoir raison. Et nous allons nous mettre en quatre pour rechercher celles qui correspondent à l'image et dépenser une énergie considérable à les maintenir dans notre vie, coûte que coûte. Tout comme nous ferons en sorte de tenir éloignées les personnes qui correspondent à l'image inversée.

Et voilà le phénomène connexe qui arrive d'une façon très perverse, celui de la projection. Car  l'on ne voie qu'une partie des choses, celle que l'on veut bien voir. Et c'est comme cela par exemple que l'on peut projeter sur une personne l'image que l'on veut bien se faire d'elle, et reconnaître en elle des aspects qui peuvent n'exister pour elle qu'en arrière plan, voire pas du tout. Ainsi, une rencontre peut nous dévoiler, sous un aspect ou un autre, ou nous illusionner. Par exemple, vous pensez ne pas avoir de colère en vous ? Mais allez à la rencontre de quelqu'un que vous considérez comme abject, ou de quelqu'un qui vous a fait du mal et observez ce qui se passe en vous. Il est évident que vous allez devoir "faire un effort", car naturellement, ce n'est pas le genre de situation que l'on a envie de vivre. C'est trop dérangeant, ça bouscule trop, puisque ça renvoie à cette image inversée que l'on ne veut surtout pas voir. A l'inverse, vous recherchez plus facilement ceux qui "lustre" l'image que vous avez de vous-même, ou celle à laquelle vous adhérez. C'est ce qui se passe à l'adolescence, quand on se cherche, on adhère à des images et on s'y fixe. Et certains n'en sortent jamais, car ils ne veulent pas grandir, ou ils masquent ces images par d'autres, celles du cadre dynamique, celle de la femme au foyer, celle de ceci ou cela... que les medias nous renvoient avec subtilité.

Comment faire autrement que de ne pas se confronter à nos limites si nous voulons entrer dans une démarche de transformation intérieure globale ? C'est typiquement un fonctionnement gnostique, le gnostique étant "l'homme (ou la femme) de la limite". Dans cette démarche intérieure d'aller vers nos limites, accepter cet état de fait (de ne pas être cette image à laquelle nous sommes identifié) va nous confronter à nos monstres, nos démons, nos diables et toutes ces entités que nous avons en nous ou auxquelles nous sommes reliés, toutes ces entités qui se nourrissent de l'énergie que nous dépensons à maintenir cette image / image inversée. Alors si nous acceptons de voir cela en nous, ce que les différentes lumières divines peuvent nous montrer, nous n'aurons plus besoin de vivre cette expérience dans le physique. Et alors nous serons capable d'accueillir chacun dans ce qu'il est sans jugement, car nous saurons que nous avons le monde en nous, et que nous pouvons être un être libre et unifié. C'est aussi pour cela que je ne parle pas du bien et du mal. Dans ce contexte, ça n'a pas de sens.

Ces mécanismes de création de l'image et de l'image inversée sont si subtils, et parfois si pervers, que pour nous renvoyer l'image que l'ego souhaite entretenir, il va projeter ses désirs vers l'extérieur, pour se servir de son environnement de façon à construire la situation qui va lui permettre de nourrir cette image. C'est de la manipulation pure et simple, mais on fait tous cela, à plus ou moins grande échelle et les uns sur les autres.  Avec un exemple, c'est peut-être plus simple à comprendre. Je rencontre une jolie personne et tout de suite je vois, la vérité étant surtout que je crois voir, chez cette personne, bien des qualités que j'attends en rapport avec l'image que je me fais de ce genre de rencontre. Il y a un adage qui dit que "la beauté est la servante du bien". Mais l'inverse n'est pas vrai. Or dans l'esprit commun, on associe au beau toutes sortes de qualités, qu'il n'a pas forcément. Forcément le beau attire, c'est normal d'ailleurs. Cette rencontre "redore notre blason", elle nous met en joie. Sauf que comme dans bien des cas ça nous arrange, on va beaucoup s'illusionner sur la personne, en début de rencontre du moins. Tout simplement pour nourrir l'image idéale que l'on se fait de soi-même, et d'un autre qui nous renvoie à cette image. C'est un cercle vicieux quand l'autre, c'est nous, et que nous nous retrouvons à être quelqu'un que l'on n'est pas, ou quelqu'un qu'on ne savait pas que l'on pourrait être. Ne vous êtes-vous jamais retrouvé dans une situation dans laquelle vous ne maîtrisez pour ainsi dire plus beaucoup vos comportements pour passer dans un mode plus automatique ou inconscient ou pour répondre à ce que votre interlocuteur croit voir de vous ? Idem lorsque l'on rencontre la laideur du monde, que l'on ne veut surtout pas regarder car elle nous renvoie inconsciemment à notre propre laideur. D'un autre côté, on peut voir le beau partout, ou le laid partout, tout simplement parce que l'égo projette ce qu'il veut sur ce qu'il veut. Et il en est ainsi pour tout ce que la vie nous offre.

Je prends des exemples grossiers pour essayer de faire ressortir les éléments importants, mais évidemment c'est beaucoup plus complexe que cela. Dans chaque rencontre, c'est un jeu réciproque qui se joue en nous, ce qui amène une confusion astronomique dans les relations humaines. On montre ce que l'on veut bien montrer. On cache ce que l'on ne veut pas montrer. On se cache à soi-même ou on renie des défauts ou distorsions (ou estimés comme tels) qui répondent à l'image inversée mais que l'on projette tout de même à l'extérieur (c'est un moyen de faire exister l'image), on simule des états qui ne peuvent être qu'illusions en nous mais dont on cherche des justifications à l'extérieur, rien que pour se prouver qu'ils existent réellement,... et tout cela forme une soupe relationnelle qui fait le jeu de l'ego qui s'en donne à coeur joie, avec plus ou moins de finesse et de subtilité. Les medias et les politiques maîtrisent cela et jouent exclusivement là dessus, en nous montrant les images auxquels ils veulent que l'on adhère. Et ces images, par le même mécanisme décrit plus haut, s'ajoutent à celles que l'on a déjà de soi et du monde, et que l'on projettera ensuite sur d'autres situations. Et ainsi le phénomène ne fait que s'amplifier.

C'est ainsi que vous pouvez être affublés de n'importe quel qualificatif, qui dépend d'une personne à l'autre, ou d'un moment à l'autre, tout ça parce que l'un projette quelque chose sur vous, l'autre projette autre chose, et que pris dans les filets de l'un ou de l'autre, c'est tel ou tel aspect de vous qui répond à ce que l'on projette sur vous. Et inversement de vous sur les autres. C'est la complexité absurde de l'ego qui tente de figer une image et qui peut voir des situations imaginaires, tout ça parce que ça l'arrange. Avec le temps et sans conscience de ces phénomènes, les images s'empilent en soi, donnent des avis tranchés, des cadres étroits, créent des murs autour de soi et enferment et alourdissent l'esprit qui perd de plus en plus de lucidité, jusqu'à sombrer dans une inconscience totale. Encore une fois je force le trait, bien que ce fonctionnement soit tout de même extrêmement fréquent.

Alors la question que l'on peut se poser est comment on en sort ? Comment inverse-t-on ce phénomène de création de l'image ? Et que ce passe-t-il quand il n'y a plus d'image ? 
D'abord il faut être conscient de ce phénomène. On se crée un personnage auquel on s'identifie, ou on fixe une situation dans son esprit et on en tire une généralité que l'on ne remet jamais plus en question. Le premier pas est l'humilité. Ce qui est vrai un jour ne l'est peut-être plus le lendemain. Et ce que l'on croit être aujourd'hui n'est qu'une infime partie de notre réalité. Pour sortir de l'image, il est nécessaire de se remettre en question en permanence, et rien de mieux que l'expérience vivante pour cela, dans un processus de connaissance de soi. Dans un article précédent, j'ai parlé du processus d'intégration de la conscience, qui peut se résumer en accueillir et accepter pour se libérer.  Certaines personnes sont tellement emmurées dans leurs certitudes qu'il va leur falloir un choc énorme pour se remettre en question. Mais nous ne sommes pas obligés d'en passer par là si nous acceptons d'être bousculé par la vie, suffisamment pour nous remettre en question, ou si nous nous mettons en marche vers la vérité, alors il faut aller s'y confronter, et pas seulement celles qui nous arrangent. Fort de ces remises en question permanentes, l'esprit, découvrant la liberté et l'acceptation, trouvera de plus en plus difficile de retourner dans des murs de certitude, de mensonge et d'images. Le phénomène de création se tarit donc de lui-même. Mais toute la question est de savoir combien d'images nous avons entassé en nous, qu'elles viennent de notre expérience, de notre éducation, de la société, de nos philosophies, de nos religions, des medias ou des politiques... Nous pouvons passer à côté de personnes qui ne répondent pas aux images que l'on a en nous, et c'est ainsi que nous nous fracturons aussi bien intérieurement qu'extérieurement. Le monde est à notre image, mais abolissons les images en nous, et nous retrouverons d'abord l'unité intérieure, puis par voie de conséquence, l'unité avec nos frères et soeurs humains. C'est ce que l'on appelle l'amour, dans le sens gnostique du terme. Notre regard nous montre le réel, que les choses et les gens ne sont pas aussi "catégorisables" que l'on veut bien nous le faire croire, qu'il n'y a pas les gentils d'un côté et les méchants de l'autre,...et que tout cela n'est que construction mentale basée sur des images profondément enfouies dans notre conscience. Sortir de l'image, c'est voir le réel, et c'est ne plus être dupe du mensonge, ou de la demi vérité.

Nous ne sommes pas séparés, et si l'un de nos frères et soeurs est comme il est dans le monde, c'est que nous le sommes aussi ! Que nous le voulions ou non. Ce que je vais dire va certainement en choquer plus d'un. Mais nous sommes tous des criminels potentiels, tous, sans exception. Comme nous sommes tout autant tous des saints potentiels, sans exception. Parce qu'il n'y a aucune séparation dans la conscience et ce que nous croyons être, n'est en fait qu'une infime partie de ce que nous sommes vraiment. Nous sommes "simplement" identifié à un sous-ensemble congru de conscience qui correspond au mieux à une image que l'on se fait de l'existence, et donc de soi. Mais l'existence n'est pas la vie, et c'est pour cela que face à la vie, et a fortiori lorsque l'on parcourt ce chemin, non seulement l'humilité est de rigueur, mais en plus, tout devient possible. On aborde alors l'autre, quel qu'il soit, comme on s'aborde soi-même, comme une partie de nous-même, comme une "extension de soi", le criminel comme le saint. Et chacun d'entre nous pouvons être un miroir dans lequel se regarde notre frère humain. Donc accueillons chacun dans ce qu'il est, et peut-être sera-t-il un grand révélateur de ce que nous sommes nous-même.

Rédigé par Serge Z.

Publié dans #connaissance de soi

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